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18 août 2020

ANDRÉ KANAS

André Kanas,  voyou et rebelle

 

Katia Kanas

Katia Kanas, co-fondatrice de Greenpeace-France, m’a parlé de son père au cours de notre l’entretien du 2 juillet 2020 pour l’émission Si Vis Pacem . Elle m’a dit que c’était « un homme original » et qu’il avait rédigé un livre de mémoire publié en 1976. J’ai lu cet ouvrage sobrement intitulé « KANAS ». Il m’a passionné. 

Bernard Thomas écrit dans la préface: «  Kanas est un rebelle. Avec une cause: ça s’appelait pour lui le communisme. Ça s’appelle toujours la justice, l’amour, un espoir fou, une utopie. Mais… « Ne vous y trompez pas, les amis, la droite en Union soviétique est la plus puissante du monde ». Allez bâtir des régimes ordonnés, forts, avec un type comme ça ! Un réfractaire. »

André Kanas note dans son livre: « moi je suis un produit - ou peut-être un déchet, pourquoi ne pas le supposer- de la guerre ». 

Son récit commence en effet en 1940 quand l’armée italienne attaque la Grèce, son pays natal. André Kanas a 13 ans. Quelques mois plus tard l’armée allemande vient aider l’armée italienne qui se heurte à une forte résistance. Les nazis occupent la Grèce. La population souffre de la faim. De jeunes Athéniens  se lancent dans des opérations risquées. «  Nous sommes cinq, connus sous le nom de «  bande des sauteurs ». Notre spécialité consiste à grimper sur les camions militaires transportant de la camelote de toute sorte. Une fois dessus, tandis que le poids lourd roule, nous sommes censés balancer sur la route le maximum de marchandises » raconte André Kanas. « Voler les Allemands fournit l’alibi de rêve, la bonne conscience garantie » et permet aux jeunes audacieux de se former au métier de voleur.

«  Le début 1943 est particulièrement marqué par le déclin du triomphalisme allemand, mais l’occupant vert-de-gris mord avec d’autant plus de rage. La famine tue des Athéniens en masses de plus en plus effroyables, l’argent vaut de moins en moins et il faut des valises pleines de billets pour acheter un litre d’huile. Les pendaisons exemplaires se multiplient et les assoiffés de survie sont forcés d’inventer sans cesse les business les plus insensés afin de se maintenir ».

A 16 ans André Kanas assiste à la reddition de l’armée italienne et à la vague de désertion de ses soldats. Tout seul, il va aider un officier italien anti-fasciste et déserteur à se cacher et à livrer un stock d’armes de l’armée d’occupation à la résistance grecque. Mais il ne souhaite pas se mettre au service de la résistance et veut garder son autonomie d’action. Il déclare avec l’un de ses colistiers : «  L’ennemi que je combats ce sont les flics et les militaires. L’uniforme me rend fou furieux. De toute façon les bandits sont traqués pareil dans les deux camps qui s’entre-déchirent ». Pourtant: « Etant donné la parenté qui lie les révoltés aux révolutionnaires, souvent les objectifs immédiats se rejoignent et la coopération peut être la bienvenue ».

Dans « la nuit du 1er au 2 janvier 1945, les chars britanniques fraîchement débarqués bloquent tous les carrefours de la capitale et ouvrent des tirs de barrage afin d’isoler les avant-postes de l’ELAS ( Armée populaire de Libération Grecque) » André Kanas constate: «  La relève de l’envahisseur allemand est pratiquement assurée par l’armée britannique qui a juré la liquidation de l’ELAS et l’instauration d’un fascisme, modèle anglais cette fois-ci… les bataillons de sécurité assurent la relève des Schleus ». Les collaborateurs et fascistes grecs sont de retour. Le rebelle Kanas est poursuivi. « Je suis blessé par une balle britannique et j’en ai vu d’autres mourir écrasés sous leurs chars. ». Il ajoute: « Je rappelle que les abominables nazis n’ont jamais mitraillé Athènes ».

En danger dans sa ville, André Kanas décide de fuir en Egypte où se sont déjà réfugiés des membres de l’armée de Libération de la Grèce. « La jeunesse européenne d’Egypte se veut révolutionnaire » Considéré comme un résistant grec,le jeune Kanas fréquente les nombreuses librairies du Caire où « la littérature marxiste-léniniste abonde dans toutes les langues ». Mais en Egypte comme en Grèce « la chasse aux communistes prend des dimensions étendues et, coup après coup, la police réussit le démantèlement de la plupart des secteurs du MDLN  ( Mouvement démocratique de libération nationale ) ». 

A nouveau arrêté et emprisonné par les autorités Kanas organise son évasion. « Moi je ne suis pas fait pour subir, m’agenouiller et mendier la grâce ». Il ne veut pas retourner en Grèce car il ne veut pas faire son service militaire. Il cherche seul, sans l’aide du MDLN, sur le port d’Alexandrie un bateau pour fuir la répression en Egypte.  

«  Nier l’importance de l’organisation comme condition essentielle pour le succès de la moindre entreprise va incontestablement me mettre sur la sellette des anarchistes ». Il réussit à se cacher dans un bateau grec en partance pour Odessa. Dès l’arrivée dans ce port de l’Union soviétique il est arrêté pour entrée illégale sur le territoire et, soupçonné d’espionnage, il est envoyé au goulag. Son contact avec les militaires soviétiques est rude. Il n’hésite pas à les provoquer: «  Dites au camarade colonel que lorsqu’un combattant a appris à haïr les services de sécurité dans les pays capitalistes, il est compréhensible qu’il ne puisse pas d’un jour à l’autre concevoir que les services de sécurité de ses compagnons de lutte ont le même comportement haïssable ».

Kanas fait la tragique expérience de l’univers concentrationnaire du goulag en Sibérie où le travail forcé décime les détenus. Il comprend très vite qu’il faut, pour survivre, continuer à se rebeller. «  Il s’agit de me frayer une petite place honorable afin de m’installer rapidement en privilégié parmi la pègre russe dont je perçois déjà la silhouette ». Surnommé « Pouchkine » ou « l’Artiste » pour ses actes de rébellion contre les autorités du camp il déclare: «  Je ne sais plus au juste lequel des deux je suis: bandit ou militant politique.Ce qui en tout cas est sûr est que le seul point commun entre voleurs et communistes, dans les pays capitalistes consiste à s’opposer, tous les deux farouchement, à un certain ordre social ». C’est à l’ordre du goulag que Kanas décide de s’affronter en refusant d’aller travailler. Les brimades et des sanctions très dures ne le font pas céder. « Tu es devenu un peu « le symbole de la résistance » à l’intérieur du camp. » lui fait remarquer un co-détenu. Il répond « Ce n’est pas sorcier: il suffit de ne pas avoir peur de mourir au milieu de ceux dont la seule gloire est de nous menacer de mort, afin de troubler leur ordre et de les faire s’incliner devant notre propre exigence. » Transporté de camp en camp il apprend la langue russe, réussit à tenir tête à ses geôliers et analyse ainsi la situation: « Il est actuellement clair pour moi que la grande force de la flicaille soviétique consiste, non pas à traquer le crime, mais à harceler la volonté de l’homme jusqu’à le réduire à un paralytique endormi qui rêve de marcher. Ainsi les poulets peuvent se vanter, auprès de Staline que, sans eux, le succès de la production resterait lettre morte ».

En 1953 Staline meurt. Une amnistie générale est déclarée dans toute la Russie pour tous les détenus. Libéré le 28 avril 1953 Kanas obtient des papiers de réfugié politique. Les autorités lui proposent de demander la citoyenneté soviétique. Il répond à l’officier: « Depuis le jour où j’ai mis les pieds sur ton territoire je n’ai eu affaire qu’à des flics qui, en parole, se veulent révolutionnaires … opter pour la nationalité soviétique, ce serait pardonner aux Tchekistes l’abominable guêpier qu’ils m’ont tendu, ignorer les millions de tragédies dont ils ont parsemé le pays et le mal qu’ils ont infligé à la cause révolutionnaire… Pour moi  l’esprit révolutionnaire est inconciliable avec celui des poulets. »

En 1954, à l’âge de 27 ans, André Kanas réussit à regagner la Grèce. Je ne vous dirai pas par quel stratagème pour ne pas dévoiler la fin de ce livre plein de rebondissements qui se lit comme un roman policier. C’est en France qu’André Kanas trouvera refuge et vivra en artiste « marginal » comme le décrit sa fille Katia. Il écrit son livre dans un langage imagé que Bernard Thomas nomme: « le Kanas »: « Vous allez donc avoir le rare privilège d’être initiés au Kanas. Le Kanas est une langue inventée à partir du français par un drôle de Grec. C’est un mélange d’aspérités, d’invectives, entrainés dans un torrent lyrique. »

Ce livre plein d’énergie, utile dans toutes les périodes mouvementées de l’histoire, se trouve encore en occasion chez plusieurs libraires, mais il mériterait d’être réédité.

André Kanas, KANAS, Edition Balland, 1976. 450 pages, Préface de Bernard Thomas

 

 

 

 

  

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