Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
bonnesbobines
bonnesbobines
Publicité
bonnesbobines
Archives
Visiteurs
Depuis la création 266 664
25 juillet 2020

LUDIVINE BANTIGNY, CHAMPS-ELYSÉES

Champs-Élysées, théâtre militaire

 

Ludivine

Le 14 Juillet 2020, malgré la pandémie du coronavirus, les militaires ont organisé un spectacle imposant au pied des Champs-Élysées, sur la place de la Concorde, transformée en forum romain. L’avenue, interdite au public, a été survolée par une multitude d’avions de guerre.

 L’historienne Ludivine Bantigny, dans son livre « La plus belle avenue du monde » démontre que les Champs-Élysées restent encore aujourd’hui « un espace politique, un lieu où s’exhibent les démonstrations de puissance, mais où prennent place également des affrontements ». C’est notamment le cas, le 8 décembre 2018, quand les Champs se muent en champ de bataille. L’auteure écrit: « La place de l’Étoile est à nouveau cernée par la gendarmerie et ses blindés, qu’on n’avait pas vus depuis la guerre à l’exception des défilés… Le présent se mêle au passé et le rend vivant, sur cette avenue tant de fois touchée par les vents de l’histoire. Parmi les gilets jaunes, la Révolution est une référence obsédante. On envahit les Champs comme on reprendrait la Bastille. On veut atteindre le lieu du pouvoir, en son sommet, lieu où les richesses tout comme la domination sociale se concentrent, symbole et métaphore d’inégalités vertigineuses. »

C’est probablement ce soulèvement populaire « inattendu, inédit, inouï » sur « la plus belle avenue du monde », qui a inspiré l’historienne spécialiste des mouvements politiques et sociaux, auteure notamment de « 1968, de grands soirs en petits matins ».

Ludivine_0001

Cet espace parisien « traversé par une forte conflictualité » reste un sujet d’étude très intéressant.

Ludivine Bantigny écrit: « J’habite Paris depuis 20 ans et je ne connaissais rien des Champs ». Mais après une recherche scientifique dans de multiples sources et la conduite de nombreuses enquêtes de terrain, elle nous fait découvrir l’histoire de ce lieu qui n’était au Moyen-Âge qu’un quartier constitué de villages, où l’on cultivait le raisin et les cucurbitacées et qui est devenu, au XIXe siècle, le symbole de la puissance.

Dans le chapitre 4 intitulé : « Les Champs de guerre » nous apprenons qu’en 1807, Napoléon donna l’ordre d’offrir aux soldats de la Garde impériale un banquet fastueux de 10 000 couverts sur les Champs. « L’empereur imagine une voie sans cesse plus grandiose et à certains égards sacrée. L’édification de l’Arc de triomphe en témoigne : l’endroit est la matrice du pouvoir qui entend faire du lieu un monument. ». Napoléon vaincu, ce sont les troupes du roi de Prusse qui défilent sur les Champs, puis les troupes anglaises et hollandaises qui y campent entre juillet 1815 et juillet 1816.

Les Champs-Élysées deviennent le lieu privilégié des défilés militaires :

  • le 2 décembre 1852, avec les troupes de Napoléon III,
  • le 1er mars 1871, avec les troupes prussiennes,
  • le 14 Juillet 1915 avec l’armée française « sur le chemin de la victoire »,
  • Ludivine_0003

  • le 14 Juillet 1920 « On a entassé sur les Champs quelques canons pris aux Allemands que surmonte un coq gaulois, doré et fier chantant l’émoi. »,
  • le 11 Novembre 1920 « la dépouille d’un « soldat inconnu » est placée dans une salle de l’Arc, en son sommet »,
  • le 13 juin 1940 Hitler entre à Paris et le 14 juin les troupes de la Wehrmacht défilent sur les Champs.
  • le 26 août 1944 le général de Gaulle descend les Champs, suivi par une foule nombreuse, et choisit d’annoncer la victoire à l’Arc de triomphe le 8 mai 1945.

L’Arc symbolisait en effet le retour victorieux du héros et de ses soldats qui déposaient là, à la porte de la cité, toute leur fureur de guerre. Napoléon avait voulu de la démesure dans sa construction. Le sinistre ministre de l’Intérieur Thiers avait fait graver les noms de 384 généraux et de 96 batailles. Le sculpteur Rude représentait dans sa Marseillaise la France en armes. « Ce monument c’est la guerre - et la guerre exaltée » écrivait un journaliste.

Ludivine Bantigny nous raconte un événement intéressant au sujet de l’entretien de la flamme du soldat inconnu :

« Président du Comité de la Flamme entre 1999 et 2009, le général Jean Combette a ordonné que le glaive de bronze, d’où s’échappe le gaz alimentant la flamme, soit tenu par un ancien soldat et par un enfant ou un adolescent. Depuis lors, des groupes de scolaires et des jeunes de différents établissements participent chaque soir à cette cérémonie associant les guerres du passé et d’éventuels conflits futurs. L’idée est claire: la jeunesse doit se tenir prête, comme l’éphèbe du grand pilier. Ces enfants signent le livre d’or, avant quelques photos prises au côté des militaires… En 2019, des élèves de seconde, première et terminale font d’ailleurs partie de classes spéciales, qui désormais se multiplient dans le pays : les classes de défense et de sécurité globale, pilotées par les délégations militaires départementales. Emmanuel Macron vient en personne les féliciter. »

Ludivine_0002

Ludivine Bantigny évoque aussi les coulisses, l’arrière-plan des Champs, qui est aussi « un espace de discorde où se concentrent les tensions ». En effet, le 11 Novembre 1948 la commémoration de l’armistice tourne au pugilat. Des manifestants, anciens résistants, couverts de médailles sont bousculés, maltraités, humiliés par les forces de l’ordre. Derrière une barricade dressée sur les Champs certains crient: «  Gestapo ! ».

Pendant l- guerre d’Algérie, le 17 octobre 1961, «  les Champs vont connaître leurs nuits rouge sang » avec le sinistre massacre d’État des manifestants algériens.

Le 26 août 1970, un petit groupe de féministes rend hommage à celle qui est « plus inconnue que le soldat inconnu: sa femme ». C’est à cette occasion qu’est fondé le Mouvement de Libération des Femmes.

Pus récemment, en décembre 2018, « par leur irruption sur les Champs-Élysées, les gilets jaunes ont mis bas les masques et montré cet univers tel qu’il est: féroce sous ses dehors charmants et brutal sous ses oripeaux. »

« On n’a jamais vu ça ! » déclare un policier. Les manifestants s’en prennent aux symboles du pouvoir : l’Arc de triomphe qui rappelle « seulement que le triomphe c’est le massacre des populations ».

Derrière les slogans : « Les vrais casseurs sont chefs d’État », « Nous sommes tous des hommes et des femmes politiques », « Macron démission », « Sur les pavés la rage », « Victoire par chaos » et le célèbre « On est là », là où on ne les attend pas ! Les insurgés montrent que la politique est un bien commun et qu’elle peut s’exercer sur une avenue qui est le symbole de la puissance et des guerres. C’est sur l’Arc qu’ils inscrivent le graffiti qui fait scandale: « Les gilets jaunes triompheront ».

Pour l’UP, nous mettons l’accent sur l’aspect militaire de « La plus belle avenue du monde », mais Ludivine Bantigny traite aussi avec précision l’aspect social de ce lieu emblématique, avec notamment l’histoire du restaurant Fouquet’s et la galère des travailleuses du luxe.

___

Ludivine Bantigny «  La plus belle avenue du monde » Une histoire sociale et politique des Champs-Élysées, Éditions La Découverte, 2020, 287 pages, 21 €.

Le livre est très bien illustré avec des images et des gravures d’époque, ainsi que des photos récentes de Sergio d’Ignazio sur le mouvement des gilets jaunes à consulter sur le site : https://www.flickr.com/photos/119524765@N06/albums

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité