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10 novembre 2019

JEAN GIONO, LUCIEN JACQUES À MARSEILLE

Jean Giono et Lucien Jacques à l’honneur à Marseille

 

Sylvie Giono

 

Jacky Michel, Sylvie Giono, Jacques Mény, Jean-François Chougnet devant la reproduction du tableau de Lucien Jacques qui représente la famille Giono.

L’année 2020 sera l’année du cinquantenaire de la mort de Jean Giono, survenue le 9 octobre 1970. Le Mucem de Marseille et le Musée Regards de Provence ont les premiers inauguré, le 30 octobre 2019, un programme exceptionnel d’expositions, de publications, de colloques, de manifestations et de spectacles, qui se dérouleront dans toute la France pour célébrer Jean Giono, écrivain considéré comme l’un des plus grands du XXe siècle, et Lucien Jacques, artiste complet encore trop peu connu du grand public. Amis et pacifistes convaincus, ils ont déjà été présentés dans notre revue. Nous nous réjouissons de l’hommage mérité qui leur est rendu par ces nombreux événements culturels.

 L’exposition des œuvres de Lucien Jacques est présentée sous le titre: « Lucien Jacques, le sourcier de Jean Giono ». C’est en effet, Lucien Jacques, poète et peintre, qui a, le premier, découvert le talent du jeune Giono. À la lecture des premiers poèmes de Giono, parus dans la revue marseillaise « La Criée », publiée par le poète-pharmacien Léon Franc, Lucien Jacques a la conviction que ce jeune auteur doit être encouragé. Il introduit le provincial de Manosque dans les cercles littéraires et artistiques de la capitale, et il fait jouer ses relations pour faire connaître et éditer le jeune écrivain. Leur amitié durera jusqu’à la mort de Lucien Jacques, le 11 avril 1961, à Nice. Tous deux avaient connu les horreurs de la guerre de 14-18, tous deux avaient été marqués à vie par les désastres de la grande boucherie, tous deux ont écrit des œuvres majeures pour exprimer leur dégoût de la guerre : « Les Carnets de Moleskine » pour Lucien Jacques, « Le grand Troupeau » pour Jean Giono.

Dans l’exposition « Lucien Jacques, le sourcier de Jean Giono » se voient l’ensemble des publications éditées par Lucien Jacques, mais aussi ses croquis de la danseuse Isadora Ducan, ses dessins et ses aquarelles, qui ont été précieusement répertoriées, conservées et présentées par Jacky Michel, le président des Amis de Lucien Jacques. Un beau catalogue a été édité par Actes Sud.

 L’exposition Giono au Mucem est l’aboutissement d’un travail de recherche, d’analyse, de diffusion et de rencontres, pendant de nombreuses années, de Sylvie Giono, fille de l’écrivain, et de Jacques Mény, président des Amis de Jean Giono, pour faire vivre l’œuvre de Giono. Comme le rappelle Sylvie Giono : « Mon père disait : mon œuvre sera reconnue dans 50 ans ». Il avait en effet été critiqué et même temporairement exclu de la communauté littéraire pour ses engagements pacifistes. Mais il avait conscience de la valeur de ses livres, aujourd’hui traduits dans le monde entier et particulièrement au Japon par le fidèle Saturo Yamamoto.

Conçue par la commissaire Emmanuelle Lambert, avec les conseils scientifiques de Jacques Mény, cette exposition exceptionnelle est non seulement un parcours dans la vie et l’œuvre de Giono, mais aussi une présentation de documents originaux et rares : des manuscrits, des lettres intimes et amicales, des photos familiales, des articles de journaux… Jacques Mény, cinéaste et spécialiste de l’image, a recherché et proposé des extraits de nombreux films scénarisés par Giono ou adaptés de ses livres. Il est même possible de visionner un document assez étonnant : l’entretien d’Orson Welles venu à Lurs (Basses-Alpes), en 1955, après avoir lu le livre de Giono : « L’Affaire Dominici » (1954) pour préparer un film sur ce sujet.

Le regard d’un pacifiste sur cette exposition suscite quelques remarques. J’ai été très heureux de lire sous la plume de J-M.G. Le Clézio, dans la préface du catalogue de l’exposition : « J’ai lu Giono pour la première fois à l’âge où on découvre que les romans ne sont pas seulement des inventions faites pour distraire, mais qu’ils nous accompagnent dans notre vie, qu’ils seront nos amis et nos confidents… Plus tard il me restait à découvrir le Giono de la révolte, le pacifiste qui, pour avoir vécu la première guerre mondiale, maudissait toutes les guerres. » Les concepteurs de l’exposition ont choisi d’introduire les visiteurs directement dans un espace étroit et sombre, qui symbolise un boyau de la première guerre mondiale, pour tenter de faire ressentir l’horreur de cet épisode tragique vécu par Giono. On peut regretter que l’installation de cette entrée, confiée au créateur d’événements Jean-Jacques Lebel, choque les antimilitaristes. En effet, une mitrailleuse de la guerre 14-18, récupérée dans un musée de la Légion et entourée de sacs de sable, est braquée sur les personnes qui franchissent la porte d’entrée et se retrouvent dans l’obscurité. Cet objet nous a semblé inutile. Giono écrivait : « Ce qui me frappe dans la guerre, ce n’est pas son horreur : c’est son inutilité. » .Par contre, les dessins d’Otto Dix, les photos de gueules cassées, les extraits de films qui sont montrés dans cette première partie, plongent le visiteur dans le vécu des Poilus. Tirée du « Refus d’obéissance » de 1937, la phrase de Giono écrite en gros caractères : « Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur ! » exprime avec force son rejet viscéral de la guerre.

Jacques Mény explique bien, dans la biographie de Giono publiée dans le catalogue, l’engagement total de l’écrivain dans son refus de la guerre dès les premières menaces de la montée du nazisme en Allemagne. L’exposition présente les écrits originaux de Giono dans cette période dangereuse et le numéro spécial de La Patrie Humaine (28 juillet–4 août 1939), où fut publié le texte le plus antimilitariste de Giono : « 1914-1939 Recherche de la pureté ». S’y lit aussi la lettre que Giono a adressée à Romain Rolland, qui avait accepté la lutte armée contre Hitler.

 L’aventure du Contadour, avec ses assemblées de pacifistes, est bien évoquée par des écrits et surtout par une série de témoignages d’anciens participants, enregistrés par Jacques Mény et diffusés dans l’exposition. Et nous arrivons au fameux tract «  Paix immédiate ! ». Louis Lecoin se rend au Contadour quelques jours après la déclaration de guerre le 2 septembre 1939, pour faire signer son appel par Giono. Or, Giono a déjà répondu à la mobilisation ; ce qui est considéré par les Contadouriens comme une trahison. Hélène Laguerre, amie de Giono, présente au Contadour signe le tract, pour elle et pour Giono, derrière d’autres signatures, comme celles d’Alain ou d’Henri Jeanson. Ce tract est diffusé le 13 septembre. Jacques Mény précise : « Le 14, Giono est arrêté à Digne. Le 16, une perquisition est effectuée à son domicile en sa présence. Aucun tract ou écrit subversif pouvant tomber sous le coup de la loi n’y est trouvé ; le commissaire de police de Digne saisit juste un jeu d’épreuves de « Précisions ». Dans la soirée Giono est incarcéré au Fort Saint-Nicolas, à Marseille. Une information est ordonnée pour « infraction à la loi sur la presse » et « distribution de tracts défaitistes et d’écrits non visés par la censure »… Giono est mis à l’isolement sans possibilité de lire ni d’écrire. » C’est André Gide qui jouera de son influence pour faire libérer Jean Giono le 10 novembre 1939, après huit semaines d’emprisonnement. Dans l’exposition se consulte le Bulletin de Renseignements de la gendarmerie de Manosque du 16 septembre 1939 et le compte-rendu d’arrestation du 17 septembre du Bureau de centralisation des Renseignements de l’état-major XVe région. Ces deux documents portent le tampon « secret défense » et ont été déclassifiés seulement le 24 novembre 2016.

À la Libération, Giono est à nouveau inquiété. Il est soupçonné de collaboration. Raymond Aubrac, commissaire de la République pour la région, de passage à Manosque, se serait étonné que l’écrivain soit toujours libre. Jacques Mény note : « Giono est arrêté le 8 septembre 1944, sans qu’aucun mandat d’arrestation n’ait été délivré contre lui pour “actes de collaboration avec intention de servir l’ennemi”, seuls susceptibles de justifier une condamnation. S’il lui est reproché d’avoir exercé en temps de guerre une influence néfaste sur ses compatriotes par ses « vues pacifistes », il lui est surtout fait grief de deux articles parus dans Signal. » Ces articles, ainsi que le « Journal de l’occupation » de Giono et le texte de son interrogatoire le 11 septembre 1944 sont présentés dans l’exposition, ainsi que les coupures du journal communiste d’Aragon : « Les lettres françaises » dans lequel Tristan Tzara publie, le 7 octobre 1944, un article au vitriol contre Giono sous le titre : « le romancier de la lâcheté ». Le 21 octobre paraît la liste des écrivains visés par « Le comité National des Écrivains », où le nom de Giono se trouve auprès de ceux de Brasillach ou de Maurras.

Jacques Mény précise : « Conduit à Digne où il est incarcéré et interrogé, Giono est transféré, le 27 septembre, au camp de séjour surveillé de Saint-Jean-les-Forts, pour être mis à l’abri des éléments incontrôlés qui, dans la population locale, l’accusent « d’avoir collaboré avec les Allemands », le menacent de mort et projettent de faire justice eux-mêmes. Aucune charge ne pouvant être retenue contre lui, il est très vite question de sa remise en liberté. Celle-ci est reportée au 31 janvier 1945 pour préserver sa sécurité. Après guerre ses amis résistants continueront à lui manifester leur amitié, comme Henri Fluchère (Contadourienet futur biographe de Giono), Ernest Borrély ou le colonel Jean Vial, chef de l’armée secrète qui lui dédicacera ses souvenirs en ces termes : « À Jean Giono, mon éminent compatriote, l’illustre écrivain qu’inspire le pacifisme le plus noble et le plus pur… ». D’autres écrits du compositeur et pianiste Jean Meyerowiz, que Giono avait protégé pendant la guerre ou de Félix Bernard, imprimeur, dont Giono avait caché le fils qui avait pris le maquis, viennent compléter les témoignages en faveur du grand pacifiste.

Giono est libéré le 31 janvier 1945, mais n’a pas le droit de vivre dans son département des Basses-Alpes. Il se réfugie à Marseille. Il ne pourra retourner dans sa maison du Paraïs de Manosque qu’un an plus tard, en janvier 1946. C’est pourquoi, après de telles épreuves subies en raison de son pacifisme, Giono ne s’est plus engagé directement dans le mouvement après la guerre. Mais les pacifistes le considèrent toujours comme faisant partie des leurs. Louis Lecoin lui dédicace, en 1946, son livre « De prison en prison ». Le peintre Bernard Buffet et son amant Pierre Bergé, très influencés par le pacifisme intégral de Giono, se rendent à Manosque en 1950 pour lui demander conseil : « Comment échapper au service militaire ? ». Giono les héberge. Il admire les œuvres du peintre. Dans l’exposition du Mucem la salle la plus impressionnante est sans doute la salle dédiée aux peintures gigantesques (250 x 430 cm) de Bernard Buffet sur le thème de « L’Enfer de Dante ». Ces œuvres datent de 1976. Giono était certes mort, mais on sait que Dante et Virgile étaient parmi ses auteurs préférés. Ce choix judicieux d’œuvres de Bernard Buffet est une belle réussite.

Bernard Buffet

 Dans l’édito non signé du numéro 0 de « Portrait du Sud » consacré à Giono à l’occasion de l’exposition au Mucem se lit : « La Grande guerre a brisé ses illusions. La seconde anéantit ses convictions pacifistes. » Les personnes qui ont connu ou rencontré Giono après la Seconde guerre ne sont pas de cet avis. Lycéen à Manosque et voisin de Jean Giono, j’ai eu la chance de dialoguer quelques fois avec lui. Son opposition affichée à l’installation des missiles atomiques du plateau d’Albion et son refus obstiné de la construction de l’usine nucléaire de Cadarache, destinée aussi à des essais militaires, sont pour moi une continuation de son engagement pacifiste. Les entretiens que m’ont accordés en 2013 sa fille Sylvie Giono et son ami Pierre Bergé, pour l’émission Si Vis Pacem, confortent mon opinion. Même s’il a cessé de rédiger des écrits pacifistes, Giono a manifesté jusqu’à la fin de sa vie, son horreur de la guerre et des armes. Son attitude a suscité parfois, dans sa ville natale, une méfiance de la population dont il a beaucoup souffert et qui persiste encore de nos jours.

Sous le titre « Pour saluer la vie » Alice Ferney, écrit au sujet de Giono, dans le catalogue de l’exposition : « Pacifiste, il l’est, viscéralement, aveuglément, et si je commence par son émerveillement terrien, c’est qu’il éclaire cette position que Giono paiera au prix fort… Mais, marqué et meurtri, Giono reste capable d’écrire et de célébrer la vie, qu’il aime sensuellement… L’amour de la vie s’oppose violemment à la guerre… Giono ne se trompe pas en écrivant : « La guerre ne crée que la guerre »… Marqué par la course aux armements qui a précédé 14, il ne croit même pas à la paix armée. Si vis pacem, para bellum. Non, dit-il, celui qui prépare la guerre est trop tenté de la faire ! »

L’exposition Lucien Jacques au musée Regards de Provence se tiendra jusqu’au 16 février 2020 et l’exposition Giono au Mucem jusqu’au 17 février 2020. Au cours de l’année 2020, année du cinquantenaire de la mort de Jean Giono, un colloque international est organisé du 1er au 3 octobre, à Paris (Sorbonne et BNF). Un rendez-vous à ne pas manquer pour les lecteurs de Giono et les pacifistes !

Lucien Jacques : « Carnets de moleskine », Éditions Gallimard, 1939 ; réédition Gallimard, 2014

Lucien Jacques : « Poèmes sur la guerre de 14-18 », Association des Amis de Lucien Jacques, 2014

« Lucien Jacques, le sourcier de Giono » Ouvrage collectif, Actes Sud Beaux-Arts, octobre 2019, 120 pages, 80 images, 28 €

Jean Giono : « Écrits pacifistes », réédition 2014, Folio

« GIONO », catalogue de l’exposition, Collectif, Gallimard, album Beaux-Arts, octobre 2019, 320 pages, 39 €.

A NOTER: Article d'André Lombard: http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/arts/content/1949882-giono-au-mucem-contrepoints

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