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16 juin 2020

ANDRÉ GAZUT 2

André Gazut, réalisateur en Suisse

 

André Gazut

André Gazut a raconté dans la première partie de l’entretien que j’ai eu avec lui pour l’émission Si Vis Pacem, comment il avait déserté de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Réfugié en Suisse, il fait le récit, dans cette deuxième partie, de son installation et de son travail dans ce pays.

 

André Gazut (AG) : Arrivé en Suisse, je suis allé voir Nils Andersson, qui était le « Maspero » suisse. C’est lui qui éditait tous les livres interdits en France.

Bernard Baissat (B) : Comment avais-tu connu Nils Andersson ? Comment savais-tu qu’il s’intéressait à toutes les personnes qui étaient opposées à la guerre d’Algérie ?

AG : Je l’imaginais, parce que Maspero n’était pas innocent. Il avait des contacts. Je m’étais dit : « Cet éditeur à Lausanne, il faut que je trouve son adresse ».

Il m’a dit: « Écoutez… peut-être avec des contacts avec Jeune Résistance… (C’était le groupe d’insoumis et déserteurs). Revenez me voir dans huit jours ! ». Lorsque je le revois au bout de huit jours, il me dit : « Bienvenue ! On va manger ensemble, puis une amie va t’amener à la police pour te déclarer ». Alors que de 1955 à 1959, c’était difficile pour les déserteurs en Suisse, la déclaration a été simple pour moi, parce que, quelque temps auparavant, il y avait eu le procès de légionnaires suisses qui avaient témoigné des méthodes de la pacification. Ça avait fait un choc dans l’opinion ! Deuxième chose, le procureur général de la confédération avait donné la possibilité aux services français d’espionner l’ambassade d’Égypte qui soutenait le FLN. Cela s’est su et le lendemain, quand cela a été publié dans la presse, le procureur s’est suicidé. Ces deux chocs ont fait que le gouvernement suisse a pris une option de tolérance vis à vis des déserteurs.

Alors là, il fallait que je vive. J’ai écrit d’abord à Tunis, à Redha Malek : « Voilà ma situation, je suis prêt à venir en Tunisie, je suis photographe, je peux peut-être vous aider ». Il m’avait dit : « Oui, on vous donnera de faux papiers, vous partirez depuis Rome » et ça ne s’est pas fait. C’est seulement après la guerre d’Algérie que Reda Malek m’a dit pourquoi. Ils étaient en pré-négociation secrète et ils disaient quand cela se passait mal : « On pourrait envoyer Gazut, cela serait mal considéré par la France. » Et quand les négociations marchaient mieux, ils disaient: « on ne fait pas ça ».

Je ne me suis donc pas allé en Tunisie et j’ai fait le photographe de rue. Après j’ai trouvé un job à Zurich dans une agence de presse photo. Ça a duré deux mois, mais j’ai été convoqué par la police : « Les gens comme vous c’est bon pour Genève ou Lausanne. On n’en veut pas à Zurich ». Alors je suis venu en Suisse romande. J’ai été hébergé par un photographe, grand reporter par l’intermédiaire de Jeune Résistance. Il m’avait dit : « Écoute, tu as besoin d’un peu de fric, tu vas faire des tirages. » Donc, il m’hébergeait, il me nourrissait et il me donnait un peu d’argent. Après j’ai appris qu’il y avait un concours pour rentrer à la télévision suisse comme cameraman. C’est ce que j’ai fait.

B. Tu étais condamné par la France comme déserteur. Comment ça s’est passé ?

AG. J’avais été condamné en absence. J’ai pris 3 ans. Certains écopaient 5 ans, d’autres 10 ans. C’était un peu à la tête du client et du juge. En Suisse, à la télévision, j’ai très vite travaillé pour Continents sans Visa, qui était une émission sœur de Cinq colonnes à la Une. Chose incroyable : alors que j’étais recherché en France, comme tous les déserteurs et insoumis, la police allait dans ma famille qui disait qu’elle n’avait pas de nouvelles de moi parce que j’écrivais chez d’autres parents. La police disait : « C’est curieux, il y a un André Gazut au générique de Cinq colonnes. » C’était incroyable ! La première fois que je suis allé aux États-Unis, en URSS, au Maroc, c’était avec CinqColonnes et mon nom apparaissait au générique. D’ailleurs Pierre Desgraupes m’avait dit : « Quand tes conneries seront terminées tu viendras travailler en France à l’ORTF. » En 1966 j’ai été amnistié. « Alors tu nous rejoints à Paris ? ». Je lui ai répondu : « J’ai deux enfants, il faut que je trouve un logement et que l’on se prépare. » Et comme vous le savez en 1968, tous les magazines dont Cinq Colonnes ont été supprimés. Alors travailler où ? Je suis resté en Suisse et c’est pour ça qu’encore maintenant j’y suis. Cela m’a permis en 1970, en devenant réalisateur, de traiter parmi les premiers sujets un reportage sur les déserteurs américains au Canada et en 1974 un portrait du général Bollardière.

Temps présent

B. Il faut répéter pour les Français que cette émission Temps Présent, contrairement à Cinq Colonnes à la Une, existe toujours en Suisse.

AG. Avant la disparition des coproductions avec Cinq Colonnes, l’émission s’appelait « Continents sans visa », elle était mensuelle. En 1968, avec un rédacteur en chef, elle devient hebdomadaire. (En 1969 Claude Torracinta crée l’émission « Temps Présent » qui deviendra magazine hebdomadaire d’information).

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Les responsables de l’émission ont toujours défendu la liberté de la presse. Quand nous avons subi des pressions, soit avec un groupe multinational comme Nestlé, soit avec des banques qui, parfois, trouvaient que l’on faisait des sujets critiques, on leur précisait : « On serait ravi le lendemain de l’émission que vous fassiez connaître votre point de vue ». Ce qui a fait la qualité de Temps Présent, c’est sa défense de la liberté de la presse.

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B. J’ai connu Claude Torracinta, qui a accepté de diffuser en Suisse plusieurs films et reportages qui étaient interdits à la télévision française.

AG. On a offert à des camarades de Cinq Colonnes, des réalisateurs comme PaulSeban, Marcel Trillat, Christophe Oztenberger… qui n’avaient plus de travail en France, de venir en Suisse. Ils ont travaillé pendant plusieurs années, avant que la situation ne se stabilise en France, en 1981. Pour nous c’était formidable d’avoir ces collègues français. Et même Pierre Desgraupes, qui à un moment n’avait plus travail, s’est vu confier de grands entretiens à la télévision suisse.

(à suivre)

 

Pour chacun des reportages et documentaires réalisés dans des pays en conflit, André Gazut a une histoire à raconter. Nous poursuivrons son récit dans un prochain épisode, mais je tiens à remercier particulièrement l’équipe de l’émission TempsPrésentqui m’a permis de diffuser en Suisse des documentaires, que j’avais produits et réalisés sur des sujets considérés à l’époque comme tabous à la télévision française.

En 1983, Andrée Hottelier visionnait dans un festival du film à Lille le documentaire « ÉcoutezJeanne Humbert », militante néo-malthusienne pour la contraception et la libération de la femme. Elle décidait de programmer à la télévision suisse ce film interdit en France.

En 1981, je proposais un film refusé à la télévision française sur une militante anarchiste et antimilitariste : « ÉcoutezMay Picqueray ». Il était programmé le 2 septembre 1984 sur les antennes de la TSR.

En 1989, aux Rencontres de la télévision à La Ciotat, je proposais à Claude Torracinta, rédacteur en chef de l’émission Temps Présent, le film « Aux quatrecoin-coinsdu Canard enchaîné », réalisé en 1987 et toujours inédit en France. Le documentaire était programmé les 19 et 26 novembre 1989 sur la TSR.

___

PS. Voici quelques précisions apportées par André Gazut à la lecture de la première partie de son entretien :

- Association 4ACG : « Les militants des 4ACG (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre) mettent leurs retraites d’anciens combattants au service d’actions de solidarités, en Algérie et ailleurs dans le monde. Leur attitude est exemplaire. »

- Rencontre d’A. Gazut avec Louis Lecoin. Louis Lecoin lui dit : « En refusant de porter les armes, l’armée vous fera écrire et signer :Je demande d'être infirmier-parachutiste et librement me porte volontaire pour tout pays où stationne l'armée française. »

- Arrestation après sa participation à une réunion de non-violents à Nanterre : « L’action civique non violente avait organisé un jeûne au bidonville de Nanterre et je pensais qu'un participant de la réunion clandestine s'y trouverait. Il me fallait savoir si alors nous avions été identifiés. »

 

À voir dans les archives de l’émission Continents sans visa de la télévision suisse romande, un film historique filmé par André Gazut :

https://www.rts.ch/play/tv/une-histoire/video/continents-sans-visa-la-derniere-campagne-de-robert-kennedy?id=5937448

ou une copie rénovée sur : https://www.youtube.com/watch?v=Rf-tP4ZHdGs

À lire, Nils Andersson : « Mémoire éclatée ». Compte rendu dans le numéro de l’Union pacifiste de mai 2019.

 

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