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1 septembre 2019

IRAN 2019

Iran : une « mollahcratie » de plus en plus menacée

 Trump, prétend mettre l’Iran «  à genoux » en multipliant les sanctions économiques et les menaces militaires. La population souffre, mais les autorités ne semblent pas être impressionnées. Ce climat de tension n’empêche pas de nombreux Iraniens, surtout des jeunes et des femmes, d’exprimer leur opposition au régime des mollahs. Ils réclament plus de liberté. Nous avons pu le constater en voyageant dans le Nord et l’Est de l’Iran, fin juin 2019, cinq ans après notre premier séjour en Iran (voir : UPjuin 2014). Nous avons découvert des régions encore prospères et y avons rencontré des personnes accueillantes, qui nous ont confié leur impatience de voir le régime évoluer.

 

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L’Azerbaïdjan iranien

La région du Nord de l’Iran, zone montagneuse d’origine volcanique, est encore, pour l’instant, à l’abri du tourisme occidental. Le mont Arbadil culmine à 4 811 mètres. Les Azéris, groupe ethnique d’origine turque, peuplent ce territoire. Ils ont toujours affirmé leur mode de vie particulier et leur désir d’indépendance. C’est dans la forteresse d’Alamut, située sur un piton rocheux difficile d’accès, que le commandant chiite Hassan Sabbah, forma, en 1092, les premiers fédayins - ceux qui se dévouèrent - pour combattre le sultan Malik Shâh. Des adolescents, ceux désignés ensuite sous le nom d’assassins, avaient suivi un entraînement doctrinal et religieux très strict et étaient prêts à sacrifier leur vie pour aller exécuter sur ordre des personnes haut placées. La voie du Paradis leur était déjà promise.

Tabriz est aujourd’hui un centre industriel et commercial prospère. Le bazar, classé sur la liste du Patrimoine mondial par l’UNESCO, s’étend sur 75 ha. Il est l’un des plus vastes du monde, mais il y a tellement de gens que la circulation y est difficile. Il possède14 mosquées, 20 caravansérails. Quel étonnement de voir dans la ville un nombre impressionnant de véhicules neufs et des embouteillages monstres ! La cité étale ses richesses.

La région de la mer Caspienne est considérée comme le « jardin de l’Iran ». Les cultures de blé, de riz, d’arbres fruitiers et de légumes s’étendent à perte de vue. C’est dans cette partie de l’Iran que les mœurs sont les plus libres. Les couples aisés de Téhéran, qui possèdent une villa sur la côte, s’affranchissent volontiers des règles islamiques et organisent souvent des fêtes « clandestines ». Les familles plus modestes piquent-niquent sur la plage, dans les parcs, dans les champs ou au bord des routes. Elles s’installent sur leurs tapis et allument leurs barbecues. Les femmes prennent des libertés avec leur foulard et les jeunes branchent leurs téléphones pour écouter de la musique.

 

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Les femmes et les jeunes bousculent les mollahs

Les Iraniennes sont les premières à donner le signal aux étrangères pour faire tomber le foulard dans les lieux « privés » : voitures, cars réservés, maisons particulières et même fêtes « secrètes » auxquelles elles invitent les Occidentaux. Certaines participent au mouvement des « mercredis blancs » lancé par la journaliste Masih Alinejad exilée aux États-Unis. Il s’agit de se photographier sans le voile et de publier le selfie sur Internet.

Les jeunes sont tous branchés sur les réseaux sociaux et suivent les sorties des clips, musiques et chansons, dont certaines sont interdites à la radio nationale. Tous connaissent les applications qui permettent de casser les filtres d’interdiction d’accès à Youtube ou à Facebook. Ils aiment écouter par exemple Sara Nacini, Niaz Nawab, chanteuses iraniennes réfugiées en France ou Shajarian, célèbre chanteur contestataire, aujourd’hui décédé.

« Éduquée, féminisée, consumériste et pro-occidentale, la jeunesse iranienne est sans doute la plus moderne du monde musulman, malgré des lois toujours rétrogrades », écrit Armin Arefi dans son livre « Un printemps à Téhéran » publié en 2019.

Les familles possèdent des paraboles qui permettent de capter une centaine de chaînes de télévisions étrangères, surtout celles qui ont été créées par la riche diaspora iranienne aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou en France. Les Iraniens éduqués sont donc au courant de tout ce qui se passe dans le monde et s’intéressent beaucoup à l’image de leur pays, véhiculée dans les pays occidentaux. Les Iraniens désobéissent et contournent par tous les moyens les interdits qui leur sont imposés par les mollahs.

Depuis les années 1990 les manifestations de rue, souvent organisées par des étudiants, se sont multipliées. En décembre 2017, un large mouvement de protestation s’est développé dans de nombreuses villes. Beaucoup de jeunes défavorisés, de femmes et d’étudiants ont dénoncé corruption et chômage. Des slogans fleurissaient, comme : « Bénédiction à l’âme de Reza Chah (empereur de Perse de 1925 à 1941 et fondateur de la dynastie Pahlavi), Abandonnez la Syrie, le Liban et le Yémen. Pensez à nous ! On ne gouverne pas un pays avec un turban et une barbe ! »

Des manifestants ont réclamé un référendum pour élire un président au suffrage universel. La répression a été terrible et a fait, d’après l’ONG Iran Human Rights, 24 morts et de très nombreux blessés.

Le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, ne lâche rien et rappelle périodiquement les préceptes de la religion à la population. Au mois de juin 2019, pendant notre séjour, il a fait fermer en un jour plusieurs centaines de bars de Téhéran, où venaient se divertir de jeunes Iraniens.

 

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La religion est encore puissante

C’est dans la ville de Mashhad, où se trouve le mausolée de l’imam Reza, le VIIIe imam des chiites duodécimains, que l’on constate la puissance et la vigueur de la religion chiite. La ville, proche de l’Afghanistan, reçoit chaque année 20 millions de pèlerins venus de nombreux pays d’Orient. Ils représentent une manne financière très importante pour ses riches habitants.

La visite du mausolée, qui s’étale sur plusieurs hectares, est un vrai calvaire pour les femmes étrangères. Recouvertes jusqu’aux pieds d’un tchador blanc, elles sont surveillées par des gardiennes en tchador noir, qui interviennent dès qu’un voile glisse sur les cheveux. Les étrangers non-musulmans peuvent se promener dans les cours et les mosquées, mais n’ont pas le droit de pénétrer dans l’édifice du mausolée. Pourtant, dans ce décor fastueux, dégoulinant de dorures et de cristaux, la ferveur religieuse ne semble pas évidente. Si quelques rares personnes semblent prier dans leur coin, les familles déambulent avec leurs enfants indisciplinés sans trop de respect des pèlerins.

Cette impression identique de désaffection de la religion se constate dans d’autres mosquées et particulièrement dans l’énorme mausolée de l’imam Khomeiny proche de l’aéroport de Téhéran. Malgré la foule considérable qui le fréquente, ce monument, comme d’autres, semble plus être un lieu de promenade, de rencontre qu’un lieu de culte. C’est le seul endroit en Iran où il nous a été conseillé de faire attention aux pickpockets !

 

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Les gardiens de la Révolution veillent toujours

Le Corps des gardiens de la Révolution islamique, deuxième force de l’Iran, créée par l’ayatollah Khomeiny après l’épuration de l’armée nationale du Shah, est la mieux équipée et la plus puissante du pays. Au fil des ans, les gardiens de la révolution, comme les mollahs, se sont emparés des richesses du pays. Ils contrôlent aujourd’hui une grande partie de l’économie. Leur mission principale est de garder les frontières et de se concentrer sur la défense du territoire.

L’Iran compte aussi 200 000 appelés du contingent, qui font un service militaire obligatoire. Suspendu après la révolution islamique, ce service a été rétabli pendant la guerre Iran-Irak (1980-88), qui a causée des milliers de morts parmi les jeunes soldats. De nouveau annulé par le président Rafsandjani dans les années 1990, parce qu’il coûtait trop cher, le service a été rétabli par le président Ahmadinejad en 2005. Les garçons doivent aujourd’hui accomplir un service de 18 à 24 mois. 

Comme dans tous les pays du monde les jeunes font tout pour échapper au service militaire. Certains réussissent à se faire dispenser, d’autres parviennent, avec l’aide de leurs parents, à quitter le pays. Il faut ruser pour sortir d’Iran, car le régime a interdit aux garçons de plus de 14 ans, qui doivent accomplir plus tard leurs obligations militaires de quitter le territoire. S’ils réussissent à le faire ils pourront retourner en Iran, après plusieurs années d’exil, à condition « d’acheter » leur service militaire. Certains avancent le chiffre de 5 000 €, ce qui représente une petite fortune, sachant que le cours actuel de la monnaie iranienne permet à un possesseur de 100 € d’être millionnaire en rials. Comme partout, ce sont les jeunes déshérités qui sont les premières victimes du régime militaire.

 

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Les jeunes ne sont pas prêts pour une nouvelle guerre

Encore traumatisés par l’hécatombe de la guerre Iran-Irak et par le culte des martyrs entretenu par l’armée et les mollahs, les jeunes Iraniens refusent la guerre et ont envie de vivre. Chaque fois que le gouvernement relâche un peu la surveillance, en général avant les élections, les jeunes en profitent pour faire la fête. La musique et la danse sont des plaisirs qu’ils apprécient dans les réunions entre « particuliers ».

Ils refusent souvent le rôle que le pouvoir veut leur faire jouer dans les conflits extérieurs en Syrie, au Liban ou au Yémen. L’armée a dû pousser des milliers d’Afghans chiites, membre de la communauté Hazara, à rejoindre le front syrien pour prêter main-forte à Bachar-el-Assad. C’est une «  chair à canon » bon marché pour l’Iran. Cette milice chiite a compté jusqu’à 10 000 membres.

Pour beaucoup de jeunes, qui accueillent les étrangers avec énormément de curiosité et de gentillesse, la poésie reste très présente dans leur vie. Ils connaissent par cœur de nombreux poèmes. Ils applaudissent avec enthousiasme l’orateur improvisé qui déclame des vers. Que ce soient les quatrains du poète astronome Omar Khayyam du XIe siècle qui disait : « Boire du vin et étreindre la beauté vaut mieux que l’hypocrisie du dévot ». Ou les textes du poète philosophe persan Hafez-e Shiraz du XIVe siècle qui écrivait : « Si on remplace le trône du roi par le minbar des mollahs le pays va mourir ».

 Les Iraniens manifestent un désir de paix, de liberté et de joie de vivre. Les sanctions économiques de plus en plus dures, imposées par Trump, les inquiètent et font souffrir les plus faibles.

L’Iran, placé depuis 2002, par le président Bush sur « l’axe du mal » a toujours su réveiller le nationalisme de ses citoyens. En cas de guerre déclenchée contre leur pays, les Iraniens seront toujours prêts à défendre leur territoire, comme ils l’ont déjà fait, seuls contre tous, pendant la guerre Iran-Irak. Mais ils savent aussi que le régime en profitera pour devenir de plus en plus répressif.

 

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Nucléaire: un jeu dangereux

Menacé par un encerclement militaire américain, le pouvoir iranien, sur le modèle du gouvernement nord-coréen, estime que le nucléaire reste sa dernière arme pour dissuader ses ennemis et protéger le territoire national.

Thierry Coville précise dans son livre Iran, La révolution invisible : « Le programme nucléaire iranien n’est pas né avec la Révolution puisque ce dernier avait été lancé par le Shah dès la fin des années 1950. L’objectif était officiellement une exploitation à des fins civiles, mais un certain nombre d’éléments laissaient penser qu’un programme militaire avait également été mis en route… En 1974 l’Iran est entré à hauteur de 10 % dans le capital d’Eurodif, le consortium européen d’enrichissement de l’uranium, ce qui lui a donné le droit à 10 % de la production de l’usine. L’Iran a aussi accordé un prêt de 1 milliard $ au Commissariat à l’énergie atomique français (CEA)… Après la révolution, Khomeiny a demandé l’arrêt du programme nucléaire. Puis le mode de déroulement de la guerre avec l’Irak a conduit le régime à revenir sur cette décision. »

En 2006, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies a adopté des résolutions, exigeant que l’Iran cesse d’enrichir de l’uranium à des fins militaires. Ces résolutions ont été accompagnées de sanctions pour obliger l’Iran à s’y conformer. Le 14 juillet 2015, l’Iran a signé un accord avec les puissances nucléaires. Il s’engage à ne pas se doter de la bombe atomique et à limiter ses activités nucléaires, en échange de la levée des sanctions internationales qui asphyxient son économie. L’Iran a respecté scrupuleusement ses engagements, mais Trump a décidé brutalement de faire sortir les États-Unis de l’accord et a imposé de nouvelles sanctions. La France et les Européens ont suivi les États-Unis. Les sociétés Total, Air France, Accor… ont quitté l’Iran.

Trump a engagé un bras de fer militaire avec le pouvoir iranien, en entretenant une tension guerrière dans le détroit d’Ormuz, par où passent la plupart des pétroliers. Les Gardiens de la Révolution ont abattu un drone de l’armée américaine pendant notre séjour et ont arraisonné pendant l’été 2019 plusieurs tankers. Tout incident pourrait provoquer un conflit meurtrier.

« Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la politique iranienne n’est pas fondée sur la recherche de la confrontation ou de la modification des frontières. L’Iran est certes un pays extrêmement nationaliste, jaloux de son indépendance et cherchant à jouer un rôle sur la scène internationale, mais sa politique de défense vise surtout à limiter les risques. » (Thierry Coville).

Mais on s’inquiète de la réaction de la « mollahcracie » peut-être prête aujourd'hui à affronter une nouvelle guerre pour affermir son pouvoir menacé. On a pourtant du mal à imaginer une nouvelle guerre qui renforcerait le régime des « durs » et viendrait une fois de plus décimer un peuple qui aspire à la paix et à la liberté.

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Thierry Coville, Iran, La révolution invisible, La Découverte, 2007

Bernard Hourcade, Géopolitique de l’Iran, Armand Colin, 2016

Armin Arefi, Un printemps à Téhéran, Plon, 2019

Léa Michelis, L’Iran et le détroit d’Ormuz, L’Harmattan, 2019

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