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3 décembre 2018

CABU dessinateur

L’ami Cabu sous les feux de la rampe

 

Cabu Porquet

 

Cabu au Canard enchaîné

 Chaque mardi matin, pendant 23 ans (1982-2015), Cabu s’est assis devant la table qui lui était réservée à l’atelier de composition du Canard enchaîné pour y faire ses dessins et «  boucher les trous » comme il le disait modestement. Quand je tournais le film « Aux quatre coin-coins du Canard », en 1985, c’est à cette place que j’ai eu la chance de le rencontrer et de parler avec lui de l’actualité du jour.

C’est aussi à cette table que venaient s’asseoir les journalistes qui demandaient à Cabu un dessin de dernière minute pour donner une vision humoristique à leur article. Cabu était l’un des rares dessinateurs du Canard, avec Lap à l’époque, à pouvoir dessiner à la demande, rapidement, dans un cadre imposé, tout en dialoguant avec un ami.

Jean-Luc Porquet, auteur du livre « Cabu, une vie de dessinateur », écrit : « C’est là que pendant plus de 20 ans, je m’installe un bon moment à ses côtés, pour le regarder œuvrer et deviser avec lui. »

 

Jean-Luc Porquet écrivain et journaliste

 

Jean-Luc Porquet, entré au Canard en 1994, crée la rubrique « Plouf » qui traite surtout d’écologie et de mondialisation marchande. Il partage les idées écologistes et pacifistes de Cabu et il tient à avoir chaque semaine un dessin de lui pour son papier. Il en obtiendra 700. Il connaissait Cabu avant de rentrer au Canard : « J’avais vingt ans. À la rentrée 1974, Le Clampin libéré, mensuel lillois alternatif que je concoctais avec une poignée de potes étudiants, publiait un numéro consacré au “Diplodocus“, un monstre de béton qui s’apprêtait à ronger le cœur du vieux Lille. Le numéro à peine sorti, deux d’entre nous prirent le train pour faire la tournée des rédactions parisiennes, dans l’espoir un peu mégalo de déclencher un scandale national. Un beau matin, on t’a vu débarquer à Lille. On t’a raconté toutes les anecdotes sur le “Diplodocus“, on t’a amené voir le trou du chantier, plein d’eau. C’était la première fois que je te rencontrais, et te voyais dessiner sur le vif. De cette histoire tu avais tiré une page magnifique dans Charlie Hebdo, où tu citais notre petit journal… Charlie Hebdo était alors notre bible. Tu étais une sorte de grand frère pour nous. »

C’est donc le journaliste Cabu, prêt à s’engager pour défendre une cause juste, tout autant que le dessinateur, que Jean-Luc Porquet découvre à cette occasion et c’est peut-être pour cette raison qu’il a tenu à donner sur la couverture le numéro de la carte de presse de Cabu : N° 21 991.

Jean-Luc Porquet a composé son livre sur Cabu comme un objet rare : un texte d’écrivain qui s’appuie sur sa connaissance intime du personnage et les témoignages d’une soixantaine de personnes, dont des personnes très proches de ce grand pacifiste, une enquête journalistique très précise sur les événements de la vie et de l’œuvre, des dessins, des planches, des photos et des documents souvent inédits (que Cabu gardait précieusement depuis ses débuts).

Il s’agit donc du LIVRE de référence sur « le meilleur caricaturiste de sa génération ». Il fait non seulement la synthèse sur tout ce que les admirateurs de Cabu savent déjà, mais il apporte en plus les informations et l’éclairage nécessaires pour mieux comprendre la personnalité du dessinateur, personnalité complexe, parfois énigmatique. Il confirme que, derrière l’aspect « toujours souriant, toujours affable, toujours de bonne humeur » de Cabu, se cachait un esprit tourmenté qui avait besoin d’exprimer ses colères et de se venger par le dessin.

 

Cabu et l’armée

 

Jean-Luc Porquet nous rappelle que la ville de Châlons-sur-Marne, où est né Cabu en 1938, est une ville de garnison. « Tous les matins la famille Cabut est réveillée au son du clairon provenant du quartier Corbineau, une immense caserne à deux pas. » Châlons est la ville du tortionnaire Massu mais, heureusement pour Cabu, c’est aussi celle de l’humoriste Pierre Dac.

Le jeune Cabu admire les dessins de Dubout dans Ici Paris et Le Hérisson. Il s’en inspire pour exposer ses premiers dessins chez son coiffeur, le père Gilbert et pour caricaturer ses professeurs dans le journal qu’il crée à 15 ans : « Le petit Fum’s ». Il lit déjà le Canard Enchaîné. Son dessinateur préféré est Grove. Même s’il s’amuse à « bouffer du prof » mais il écrit : «  Je trouve scandaleux qu’un instituteur ne gagne pas plus qu’un sergent dans l’armée. »

Son goût pour « les petits mickeys » l’empêche de passer son bac et il se trouve embarqué dans un service militaire de 27 mois en Algérie, pendant la guerre. Il est affecté, dès son arrivée, dans un régiment qui ramasse les cadavres des « fellagas » tués au cours des combats. Il s’indigne, dans ses lettres régulières à sa sœur Marie-Thérèse, que des soldats appelés soient aussi volontaires pour pratiquer la torture. Ces scènes d’horreur vont hanter ses cauchemars pendant de nombreuses années. «  Je ne savais pas que le monde était aussi salaud » écrit-il.

Jean-Luc Porquet consacre une trentaine de pages à cette période douloureuse de son séjour forcé en Algérie.

« 27 mois après, écrit Cabu, je serai devenu antimilitariste à vie. » Dans le chapitre intitulé « À bas toutes les armées » Jean-Luc Porquet rappelle avec précision toutes les marches, toutes les manifestations, toutes les participations du regretté Cabu aux mouvements et aux journaux pacifistes. Des noms bien connus ici sont cités : Louis Lecoin, Jean-Jacques de Félice, Ambroise Monod, Thérèse Collet, Raymond Rageau, Eugène Bizeau, Mouna, Henri Tachan, René Dumont, May Picqueray (et le gala de solidarité aux objecteurs et insoumis qu’elle organisa à la Mutualité avec Anne Sylvestre, Alan Stivell, Moustaki, Jacques Higelin, Charles Bernard, Evariste, Gérard Pierron)…

Jean-Luc Porquet écrit : « En 1961 Cabu se rapproche de la toute jeune Union Pacifiste, dont il partage tous les combats : libérer les objecteurs de conscience (dont certains sont condamnés à des peines allant jusqu’à 12 ans de prison), leur donner un statut (il faudra que Louis Lecoin mette sa vie en jeu lors d’une longue grève de la faim, soutenue par le Canard enchaîné pour que de Gaulle cède en 1963) et aussi démilitariser la société, désarmer… Comme Louis Lecoin et ses amis de l’Union Pacifiste Cabu préconise un désarmement unilatéral, total et immédiat ». Cabu a offert une cinquantaine de dessins de couvertures au journal Union Pacifiste. En hommage au dessinateur assassiné ces dessinsont été rassemblés dans le recueil « Merci Cabu ! » présenté par Bernard Baissat et Maurice Montet.

CABU couverture JPG

Tout au long de sa carrière de dessinateur et de journaliste Cabu ne cessera jamais d’attaquer l’armée et les militaires chaque fois que l’occasion se présentera. Personne n’a oublié ses dessins à la télévision qui ridiculisent le général Bigeard, ses affiches antimilitaristes et ses dessins pour Charlie Hebdo qui lui valent de nombreux procès. En 2000, en compagnie de Bernard Maris, il se rend au Costa Rica, le pays qui a aboli son armée en 1948 et a décidé de « déclarer la paix au monde ». Sylvie Caster accompagne Cabu dans plusieurs manifestations antimilitaristes. Jean-Luc Porquet visite avec Cabu le salon de l’armement de Villepinte et, en septembre 2011, la centrale nucléaire de Nogent-sur-Marne. « Ce sera son dernier reportage pour le Canard Enchaîné » note Jean-Luc Porquet.

 

Cabu, journaliste dessinateur

 

Pour découvrir le monde Cabu était capable de surmonter toutes les difficultés, y compris de prendre l’avion (ce qu’il n’aimait pas), et de s’adapter à toutes les situations. Cabu dessinait à tous moments et dans toutes circonstances. Jean-Luc Porquet raconte ses interventions à la télévision avec Dorothée et Michel Polac, ses séances de dessins dans l’amphi de la Sorbonne en 1968 ou dans les tribunaux pour la presse, ses collaborations à Charlie Hebdo avec Cavanna, Charb, Luz, Coco et les autres dessinateurs, son travail rigoureux au Canard Enchaîné avec Kerleroux, Wozniak, Mougey… et les journalistes. Infatigable, Cabu se livrait à des séances de caricature pendant les concerts de jazz pour ses amis Tercinet, éditeur de disques, ou Jean-François Pitet, spécialiste de Cab Calloway. Il offrait des dessins pendant ses voyages au Japon, en Chine ou en Inde aux chauffeurs de taxi qui lui permettaient de s’assoir à l’avant du véhicule. Il dessinait dans les rues de Paris pour le journal municipal du maire de gauche (Delanoé). Dans les salons du livre, il accompagnait ses dédicaces d’un dessin qui faisait la joie de ses lecteurs. À l’imprimerie, il croquait un portrait pour les typographes qui préparaient l’anniversaire de leur enfant. Tout le monde l’aimait car il partageait son art avec générosité.

Avec « Cabu, une vie de dessinateur » Jean-Luc Porquet réussit aussi à nous raconter, à travers l’histoire de notre ami, les principaux événements de l’histoire du monde. Devenu globe-trotteur dans les années en 1987 et jusqu’en 2015, Cabu, après avoir dessiné la France dans ses moindres recoins, a croqué le monde en mouvement et a pressenti ses évolutions : les désastres écologiques, les ravages du capitalisme, les excès de la malbouffe, les menaces sur les démocraties, les dangers des religions. « Pour moi toute religion est débile » concluait Cabu. Il disait: «  Je suis un soixante-huitard, un soixante-huitard attardé et je veux rester un soixante-huitard attardé » ce qui voulait dire, d’après Jean-Luc Porquet, être libertaire, être athée et avoir de l’humour. Cabu travaillait encore avec Jean-Luc Porquet la veille de son assassinat pour illustrer son article intitulé: « L’extinction en cours des espèces animales. »

Ce livre est essentiel pour toutes celles et tous ceux qui veulent mieux connaître la personnalité complexe de Cabu et apprécier à nouveau son art du dessin.

 

Cabu, Une vie de dessinateur, Jean-Luc Porquet, Gallimard, 377 p. grand format, 39 €

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