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15 septembre 2015

CÔTE D'IVOIRE, néo-colonialisme à la française

Côte d’Ivoire, néo-colonialisme à la française

 « On se rend compte avec le cas ivoirien que la Françafrique est toujours d’actualité… L’armée française est toujours chez elle, en Côte d’Ivoire » écrit Fanny Pigeaud dans l’épilogue de son très bon livre d’investigation France Côte d’Ivoire Une histoire tronquée. Journaliste de terrain, correspondante en Afrique de plusieurs médias français, elle a enquêté de nombreuses années pour essayer d’éclaircir le rôle du gouvernement français dans la guerre qui a conduit à la chute de Laurent Gbagbo et à la prise de pouvoir d’Ouattara. L’implication évidente des forces françaises n’est plus une information occultée par les gouvernements français et le caractère colonial des interventions militaires en Afrique se trouve, une nouvelle fois, démontrée.

 

 

 

 

Côte d'Ivoire 2

 

 

 

L’armée française en Côte d’Ivoire

En 1988, dans le livre «  Mes premiers combats » le président Félix Houphouët-Boigny, confiait ses souvenirs à Patrice Vautier, journaliste du Canard Enchaîné et spécialiste de l’Afrique. Dans cet ouvrage, étudiant en médecine, Houphouët se fait remarquer en s’opposant à la colonisation, puis, devenu chef de service à l’hôpital central d’Abidjan, il prend conscience de la situation de son peuple. Pour aider sa famille de planteurs de l’ethnie Baoulé, il crée le Syndicat agricole africain qui revendique les mêmes conditions pour les Ivoiriens que pour les colons. Élu en 1945 à l’Assemblée constituante de Paris, Houphouët-Boigny rejoint le groupe apparenté communiste d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Il déclare dans un discours au parlement : «  Le prestige de la France ne réside pas dans l’asservissement des peuples ni dans la force de ses baïonnettes » Après avoir participé, comme ministre, à six gouvernements de la IVe République, il vote oui au référendum organisé par De Gaulle. Il peut donc devenir président de la Côte d’Ivoire. Houphouët-Boigny doit composer avec les soixante dix ethnies de son pays. Homme de dialogue et de sagesse au début de son règne, il gouverne par la suite avec une méthode dictatoriale : le parti unique. La crise agricole des années 1980, provoquée par la chute des prix du cacao et du café, et les manifestations étudiantes des années 1990 lui feront craindre pour son pouvoir.

Houphouët-Boigny se méfie de son armée. Pour déjouer toute tentative de putsch il réduit au minimum les Forces armées nationales, stationnées pour la plupart, à Bouaké, à 400 km de la capitale. Il préfère confier sa défense aux Forces armées françaises qui s’installent à Port-Bouët, tout près d’Abidjan. Elles pourront intervenir quand les intérêts français seront menacés. C’est ce qu’elles font à plusieurs reprises, de façon extrêmement violente, notamment en 1970, à Gagnoa lorsqu’un étudiant bété crée un groupement politique accusé de vouloir faire sécession.

 

 

À partir de 1970, je suis réalisateur au Complexe d’éducation télévisuelle de Bouaké. J’apprends par des collègues de travail originaires du pays bété que la répression avec l’aide de l’armée française a été tragique. Certains parlent même, sans preuve, de l’utilisation de napalm par l’aviation. Il est très difficile d’avoir des informations précises et fiables parce que la censure de la presse ivoirienne est totale et que les médias français s’intéressent plus au «  miracle économique ivoirien » qu’aux agissements de l’armée et des services spéciaux de la Françafrique. On sait aujourd’hui, notamment par la publication du livre L’affaire Kragbé Gnagbé, du nom de l’étudiant bété qui avait organisé la révolte et qui a été assassiné, que le IVe Régiment interarmes d’Outremer français de Port-Bouët, avec 400 hommes, est intervenu pour réduire la révolte, soutenu par 200 parachutistes venus de Dakar. D’après l’auteur, le résultat est : « en tout, de plus de 6 000 morts (4 000 d'après Houphouët lui-même) dont vingt-trois militaires et deux sous-officiers français. Cinq villages de plus de 50 habitants (Kapatro, Gagnoa, Barouyo, Apridougnoa, Tchedjro-Babré et Gaba, village du leader des insurgés) ont été brûlés puis rasés. Après le massacre, le ratissage et la pacification: cinq fosses communes furent creusées à la lisière de chaque village. Les services des travaux publics envoyèrent des Caterpillar entre le 28 octobre et le 4 novembre. »

 

La corruption, méthode traditionnelle de la néo-colonisation

La fin du règne du président Félix Houphouët-Boigny a été marquée par une corruption généralisée qui a conduit, après son décès à une catastrophe économique. Je ne donnerai que deux exemples vécus. Au Complexe d’éducation télévisuelle, placé sous la responsabilité du ministère français de la Coopération, mais aussi de l’Agence culturelle et technique des pays francophones ( Belgique, Québec…) et de l’UNESCO, la production d’émissions de télévision est conçue avec du matériel technique plus sophistiqué et plus onéreux qu’en France : des caméras de luxe et des régies de la société Thomson, essentiellement militaire. Les réalisations sont faites sur support film souvent inutile. Quand je m’étonne du gaspillage au cours d’une réunion de direction et que je propose, dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, de réaliser quelques émissions en direct, je me fais rappeler à l’ordre: « Ici, nous sommes dans un pays riche ».

J’ai vite compris, comme me l’a confirmé par la suite un collègue français chargé du commerce, que le but de la Coopération française n’était pas de permettre aux Ivoiriens de se «  développer », mais aux entreprises françaises de faire du profit grâce aux richesses agricoles de la Côte d’Ivoire : le cacao et le café.

Deuxième exemple : Le Canada, grand producteur de papier, avait installé une imprimerie très luxueuse pour fournir gratuitement à tous les élèves du Complexe télévisuel, sur l’ensemble du territoire ivoirien, les documents écrits et les livres scolaires nécessaires. La société française Hachette, ayant perdu un marché lucratif, n’a cessé d’harceler un directeur ivoirien pourtant intègre qui avait, étudiant,  fait quelques mois de prison pour avoir dénoncé la corruption du régime. Au bout de quelques années la société Hachette reprenait son marché prospère et l’imprimerie canadienne était utilisée pour l’impression du journal Fraternité matin.

Il est ainsi aisé de comprendre comment agissent les centaines de sociétés françaises installées en Côte d’Ivoire : Bouygues, Bolloré, Total, Elf… pour obtenir des marchés et pourquoi elles ont besoin de la présence de l’armée française afin de les protéger.

 

Laurent Gbagbo, le rebelle

Laurent Gbagbo, professeur, a obtenu une maîtrise d’histoire à la Sorbonne. Syndicaliste enseignant, très actif dans les années 1970 et natif de Gagnoa en pays bété, il s’oppose à la politique d’Houphouët-Boigny. Jugé «  élément subversif » par le pouvoir, il est emprisonné de 1971 à 1973 à Bouaké. En 1982, il organise à nouveau des manifestations étudiantes qui provoquent la fermeture de l’Université. Exilé en France il se rapproche des socialistes et cherche à développer son parti clandestin : «  Le front populaire ivoirien ». Les socialistes français préfèrent le voir retourner en Côte d’Ivoire, à la demande d’Houphouët-Boigny, qui souhaite mieux le surveiller. Aux élections présidentielles de 1990, premières élections multipartites, Laurent Gbabo obtient 18,3 % des voix. Aux élections législatives, son parti obtient neuf sièges au parlement, Gbagbo devient le principal opposant d’Houphouët-Boigny. En 1992, d’importantes manifestations étudiantes ont lieu à Abidjan. Le premier ministre Alassane Ouattara, fait arrêter et condamner Laurent Gbagbo. Le 7 décembre 1993, le «  vieux » comme le nomment familièrement les Ivoiriens, décède. Comme toute la population s’y attendait, la lutte entre les « héritiers » devient sanglante.

Dans un premier temps, la France aide le président Henri Konan Bédié. Celui-ci est renversé par le général Robert Guéï en 1999. Les élections présidentielles de 2000 sont remportées par Laurent Gbagbo.

Dès sa prise de pouvoir le gouvernement français, présidé par Jacques Chirac, organise son échec. Le gouvernement de Sarkozy précipitera sa chute. C’est le récit détaillé et très précis que fait Fanny Pigeaud dans son livre précité. Série d’attaques, de complots, de coups d’état avortés, de rebellions organisées, d’opérations extérieures, de massacres de gendarmes, tout est fait pour déstabiliser le chef de l’état ivoirien.

Gbagbo qui espère que l’armée française va le protéger, favorise la formation de la Force Licorne assurée par 600 soldats du 43e bataillon d’infanterie de marine qui seront stationnés en permanence à Abidjan.

 

L’élimination de Laurent Gbagbo

Comme dans toutes les guerres coloniales, la France va utiliser un « sous-traitant » pour essayer de soumettre Laurent Gbagbo. Blaise Comparoé, devenu président du Burkina Faso après l’assassinat de Thomas Sankara, est l’interlocuteur privilégié de la France depuis la mort d’Houphouët-Boigny. Son rôle est de fournir les armes et les hommes nécessaires à l’envahissement du nord de la Côte d’Ivoire. La France se sert aussi d’une nouvelle méthode : manipuler l’ONU pour agir sous couvert des résolutions d’une organisation internationale. Il faut pour cela provoquer des conflits qui justifient l’intervention des Forces armées. Autre tactique à caractère « démocratique » : obliger le gouvernement ivoirien à organiser des élections présidentielles dans un pays divisé en en proie à une guerre civile. Les résultats sont connus d’avance. Les médias sont alors mis à contribution. Comme la radiotélévision  nationale RTI reste fidèle à Laurent Gbagbo, on crée une autre antenne qui assure la propagande. Les médias français, à l’exception du Canard Enchaîné et du Monde diplomatique, souvent cités par Fanny Pigeaud, relaient fidèlement la communication du gouvernement de la métropole.

Tout se prépare pour que l’armée et les services secrets de la France dirigent une véritable guerre en Côte d’Ivoire. Des militaires français seront décorés pour leur réussite dans l’organisation de l’arrestation de Laurent Gbagbo et de ses proches, le 11 avril 2011.

L’action d’une armée ne se fait jamais sans «  bavures ». Parmi les rares qui ont été portées à la connaissance du public il y a les 63 morts et 2 000 blessés du 8 novembre 2004, quand la force Licorne a ouvert le feu, près de l’Hôtel Ivoire, sur des manifestants désarmés. Il y a aussi le meurtre de Firmin Mahé, citoyen ivoirien de 30 ans, étouffé par deux soldats avec un sac poubelle dans un char français. Il y a encore les dizaines de morts provoqués par les bombardements de l’aviation française sur la résidence présidentielle. Et il faut ajouter les centaines d’exécutions sommaires pratiquées par des hommes en arme dans le quartier pro-Gbagbo de Yopougon, après la chute de ce leader.

Le 21 mai 2011, Nicolas Sarkozy se rend à Abidjan pour assister à la prestation de serment d’ Alassane Ouattara devant le Conseil constitutionnel, avec à ses côtés des patrons de grandes entreprises françaises. La «  France forte » fait son retour en Afrique de l’Ouest.

Le livre de Fanny Pigeaud contient tous les détails de cette histoire violente. Les 350 pages de son récit se lisent comme un roman policier et sont d’autant plus impressionnantes qu’elles décrivent une réalité toujours d’actualité.

Après son intérêt pour Madagascar et le Cameroun, nous espérons que Fanny Pigeaud s’intéressera aussi au Mali, à la République centrafricaine, au Tchad et au Niger, partout où les intérêts français sont en jeu et où les armées françaises occupent toujours le terrain.

 

___

Fanny Pigeaud : France Côte d’Ivoire, Une histoire tronquée, éd. Vents d’ailleurs, 2015

Félix Houphouët-Boigny : Mes premiers combats, Confidences recueillies par Patrice Vautier, Edition n° 1, 1994.

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