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9 mars 2013

INDE, que reste-t-il du rêve de Gandhi?

Gandhi Jinnah

Gandhi et Jinnah, président de Ligue musulmane.

INDE

Que reste-t-il du rêve de Gandhi ?

 

J'ai rêvé de créer une Inde sans classes et sans castes... Je ne suis qu'un rebelle rêvant d'une société d'égaux " déclare Gandhi peu avant son assassinat à Delhi. Le 30 janvier 1948, un jeune hindou le tue dans le jardin de la maison de l’industriel Birla où il est hébergé dans le but d’apaiser les rivalités meurtrières entre hindous et musulmans.

En février 2013, nous nous sommes rendus, ma femme et moi, au monument commémoratif de Delhi, situé sur le Raj Ghât, où une partie des cendres de Gandhi furent dispersées le 31 janvier 1948. Dans ce lieu de recueillement, des Indiens défilent en permanence pour rendre hommage au Père de la Nation. Il en est de même au Gandhi Smriti Museum où des coupures de journaux, des photos, dont celles d'Henri Cartier-Bresson, et de modestes objets ayant servis au mahatma, retracent son parcours. Au cours d’un voyage dans la vallée du Gange j’ai pu faire quelques observations.

Mémo Gandhi

Le comportement des anciennes puissances coloniales.

Lors de notre séjour, le 14 février 2013, le président de la République française était en visite d'État. La télévision a rendu compte de l'événement en direct. Nous avons vu François Hollande se recueillir au mémorial de Gandhi avant de prononcer des discours qui vantaient les mérites des avions de guerre français, du savoir faire français en matière d’énergie nucléaire et de la technologie française en matière de police.

Il déclarait notamment : «  L’Inde a fait confiance aux matériels français et la France a fait confiance à l’Inde pour leur utilisation. Parce que l’Inde est une Nation de paix... Dès l’indépendance de l’Inde, la France a mis à la disposition de l’Inde des avions... Il y a eu le Mirage, aujourd’hui c’est la Rafale. ». Le président était accompagné d’une soixantaine de PDG, parmi lesquels ceux de Dassault, Thales et Areva.

J’ai relevé dans un journal indien la remarque suivante de Julius Lathus : « N’y a-t-il pas une certaine contradiction à jeter des pétales de fleurs pour honorer la mémoire de l’apôtre de la non-violence, humblement et en chaussettes quelques heures avant de négocier la vente d’une centaine d’appareils dotés d’un pouvoir létal et belliqueux ? Vingt minutes de présence auprès du père de la Nation Indienne et un mot pour le livre d’or : « Son message de paix, de courage et de simplicité continue à inspirer l’humanité ». Rien de tel pour s’encourager à vendre des avions de combat. Désolé Gandhi, à croire que les affaires sont les affaires et que la “ faim ” justifie les moyens. »

Quelques jours plus tard, le 18 février 2013, le Premier ministre anglais Cameron, faisait à son tour une visite en Inde, pour vanter les mérites de l'avion de combat Typhoon qui a fait ses preuves dans le conflit libyen et qui peut concurrencer le Rafale en action au Mali. Cameron a voulu aussi s'attirer les bonnes grâces du gouvernement indien en allant demander pardon à Jallianwala, lieu où l'armée coloniale anglaise avait fait des centaines de victimes en 1919.

Ces comportements ne sont-ils pas une insulte à la mémoire de Gandhi ?

Que dire aussi de l’attitude des autorités indiennes ?

Dans l’ouvrage L’Inde : une modernité controversée (Alternatives sud, 2011), Christophe Jaffrelot, chercheur au CNRS, titre son article : « L’héritage dilapidé de Gandhi et Nehru ». Il écrit: « L’Inde d’hier était réputée pour sa vision idéaliste du monde. Elle se disait tiers-mondiste. Elle défendait une philosophie de non-alignement et rejetait l’affrontement du modèle soviétique et du capitalisme, au nom d’une troisième voie d’inspiration gandhienne. Elle prônait la solidarité des jeunes nations, l’émancipation des peuples colonisés et la non-violence - y compris à travers la dénucléarisation de l’Asie... Il y avait de l’idéalisme et même de l’utopie dans cette posture de Nehru... [Il] inscrivait sa diplomatie dans une forme d’humanisme... Il tirait cette immense qualité de Gandhi, son père spirituel dont il disait en 1946 : « Gandhi était un homme qui se sentait porteur d’un message non seulement pour l’Inde, mais pour le monde, il désirait ardemment la paix mondiale. » En 1956 Nehru déclarait : « Le désarmement devrait être bilatéral ou multilatéral... Tout le monde devrait désarmer. »

Si l’Inde, contrairement aux vœux de Nehru, a aujourd’hui l’une des armées les plus importantes du monde, il y a peut-être une raison que nous donne Christophe Jaffrelot : « L’Inde n’a pas été prise au sérieux tant qu’elle a parlé de bons sentiments pacifiques ; il lui aura fallu procéder aux essais nucléaires de 1998 pour que le regard des puissants de ce monde change ».

Dans l’Inde du Nord, nous avons découvert un pays où les militaires et les policiers sont partout l’arme à la bretelle, toujours prêts à vous fouiller à corps lorsque vous entrez dans les aéroports mais aussi dans les lieux administratifs, commerciaux ou touristiques. La pression sécuritaire est énorme.

Varanasi 1 

La situation sociale

Les déplacements dans les villes en voiture, à moto, à vélo, en tuk-tuk ou à pied sont des aventures périlleuses. Les routes entre des cités importantes sont souvent défoncées et dans un état catastrophique. Les transports en commun ne sont pas toujours fiables.

La situation sanitaire de certaines villes du Nord est déplorable. Les détritus jonchent les rues et débordent des poubelles. Celles-ci sont régulièrement fouillées par des animaux mais aussi par des pauvres à la recherche de nourriture, de vêtements ou d’objets à revendre.

L’écrivain Pavan K. Varma, raconte dans " Le défi indien ", publié en France en 2005 (Actes Sud) : « Quand le mahatma Gandhi a visité à Varanasi le célèbre temple Kashi Vishvanath, il a été " profondément peiné " par ce qu'il a vu. Dans son autobiographie il décrit sa marche vers ce temple par une ruelle étroite et sale, pleine d'essaims de mouches, les fleurs pourries et puantes à l'intérieur du temple. Rien n'a beaucoup changé depuis lors. »

En effet, aujourd’hui encore, la saleté imprègne tous les bâtiments et tous les passages d’accès au Gange.

Et nous observons en même temps un déferlement de publicité, sur des panneaux géants, sur toutes les devantures des commerces, petits et grands, sur les camions, les autocars, les tuk-tuks. Il est pratiquement impossible de regarder l’une des centaines de chaînes de télévision sans subir en permanence, même pendant les informations, une publicité pour faire acheter des produits de consommation souvent inutiles.

Pavan K. Varma précise : « La croissance désordonnée du consumérisme qui a pris naissance avec les décisions novatrices de 1991 était entièrement conforme aux inclinations naturelles des Indiens. Les enfants de Gandhi ont montré très peu de réserve dans leur désir d'avoir les voitures les plus chères, les derniers gadgets à la mode, des vêtements et des accessoires conçus par des stylistes, et une vie cinq-étoiles. Tous ne pouvaient pas se le permettre et pourtant tous le souhaitaient.

L'indifférence absolue de Gandhi aux tentations du monde matériel en imposait aux Indiens, mais ils ne s'y convertissaient pas. Ils admiraient sa capacité à limiter ses besoins, mais ils n'étaient pas disposés à l'imiter . ses ashrams étaient des lieux de curiosité, non pas d'inspiration. Il a été honoré parce qu'il pouvait renoncer à l'attrait du pouvoir et de l'argent, une attitude que les Indiens n'attendent de personne… Son exemple d'abnégation a complètementéchoué. À peine a-t-il disparu, ses disciples trahissaient son mode de vie spartiate. »

Arundhati Roy, proche de l’IRG et célèbre auteur du Dieu des petits riens, ajoute dans son livre :L'écrivain-militant, (2003, Folio Gallimard):

« L'Inde - la plus grande démocratie du monde - occupe actuellement une place de choix dans le programme de mondialisation capitaliste. L’OMC est en train de pénétrer par la force son " marché " d'un milliard d'habitants. Mondialisation et privatisation sont accueillies à bras ouverts par le gouvernement et l'élite indienne… qui s'emploient à privatiser l'eau, l'électricité, le pétrole, le charbon, l'acier, la santé, l'éducation, les télécommunications… Les deux bras du gouvernement indien opèrent un parfait mouvement de tenailles. Pendant que l'un s'active à débiter l'Inde en morceaux pour la vendre au plus offrant, l'autre, histoire de détourner l'attention, orchestre le chœur hurlant des nationalistes hindous et des fanatiques religieux. Le gouvernement procède à des essais nucléaires, réécrit les manuels d'histoire, brûle les églises et détruit les mosquées. La censure, la surveillance, les atteintes aux libertés civiles et aux droits de l'homme, la redéfinition de la citoyenneté indienne, sont aujourd'hui monnaie courante. »

Pavan K. Varmacomplète : « Pourquoi une nation qui a trouvé avec le Mahatma Gandhi un modèle aussi imposant de droiture est-elle devenue aussi vite incroyablement corrompue ?... Les Indiens aspirent aux biens matériels que ce monde leur offre, et lorgnent vers les riches. Ils se lancent à la poursuite du profit avec plus de ténacité que bien d'autres. Ils sont des commerçants roublards, inventifs, adroits et industrieux… C'est un peuple pragmatique, naturellement amoral dans son comportement. »

 

mariage

 La non-violence

Tous les jours les journaux rapportent des faits de violence commis sur des enfants, des femmes, des manifestants. La peine de mort est régulièrement appliquée. Pendant notre séjour nous avons suivi les réactions à l’exécution du militant du Cachemire Efzal Guru, accusé d’avoir participé à l’attentat contre le Parlement indien, et condamné au terme d’un procès « pour le moins douteux » d’après Martine Burlat, journaliste du Monde Diplomatique.

Je laisse encore la parole à Pavan K. Varma, qui écrit dans Le défi indien : « Pendant des années, les dirigeants du pays et les Indiens éduqués ont délibérément projeté et embelli une image dont ils savaient qu'elle était inexacte. Ils ont consciemment encouragé l'observateur étranger crédule et bien disposé àl'accepter. Pis, ils sont tombés amoureux de cette image et ne peuvent plus accepter l'idée qu'elle soit fausse… Le Mahatma Gandhi a défait les Britanniques grâce à l'ahimsa (la non-violence) : les Indiens sont donc pacifiques et non violents par nature... Un peuple dont les membres les mieux éduqués peuvent battre presque à mort un serviteur, aveugler des prévenus pour obtenir une confession, ou brûler des femmes pour obtenir des dots plus importantes, peut-il se faire passer pour non-violent ? »

Que dire d’un État qui encourage le nationalisme, de Narendra Modi, le chef du gouvernement du Gujarat qui voulait être Premier ministre et qui mène ouvertement une politique xénophobe et raciste ?

Arundhati Roysouligne : « Il est troublant de constater à quel point le nationalisme s'accorde avec le fascisme. »

Que dire d’un État qui laisse l’économie agricole s’effondrer avec des conséquences désastreuses dans certaines régions de l’Est ?

Christophe Jaffrelot écrit dans Inde, l’envers de la puissance (CNRS éditions, 2013) : « Le naxalisme (mouvement paysan de guérilla) qui avait quasiment disparu de la scène politique indienne dans les années 1980, y a fait un retour remarqué depuis les années 1990 à la faveur du creusement des écarts sociaux et régionaux liés à la libéralisation économique et à une politique prédatrice de mise en valeur de certaines ressources naturelles... »

 

Manif contre viol

 

 L’esprit de révolte de Gandhi est toujours vivant

Il suffit de dialoguer avec les guides francophones des superbes sites d’Agra, de Fatehpur Sikri ou de Khajurâho pour se rendre compte que les intellectuels indiens ont pris conscience de la situation catastrophique que la mondialisation leur a imposée.

Ils nous ont parlé de leurs difficultés à survivre avec un travail honnête, de la corruption des politiques et des militaires, des violences interreligieuses, des mariages arrangés et des dots excessives, de leur désir de voyager et d’apprendre pour mieux se défendre dans leur Pays.

Les tribunes dans les journaux anglophones, les seules que nous pouvions lire, dénoncent souvent les dérives d’une société en danger.

Arundhati Roy, célèbre et écoutée en Inde, n’hésite pas à dénoncer la politique militariste de son pays : « La bombe atomique est la chose la plus antidémocratique, la plus antinationale, la plus antihumaine, la plus diabolique que l'homme ait jamais conçue... Je suis citoyenne du monde. Je n'ai ni territoire ni drapeau... Préserver la paix, c'est en l'occurrence l'œuvre de ceux qui, obstinément, inlassablement, ont le courage de dénoncer ouvertement la bombe ; ce sont les marches, les manifestations, les films, la simple indignation qui ont évité, ou peut-être simplement différé, la guerre nucléaire. »

Gandhi déjà écrivait : « Lorsque j'ai appris que la ville d'Hiroshima avait été anéantie par une bombe atomique, je me dis tout simplement : L'humanité court à son suicide si le monde n'adopte pas la non-violence. »

Beaucoup de mouvements dans le monde continuent à faire vivre l’esprit de Gandhi. Depuis les associations altermondialistes du début du siècle, des manifestations des indignés ou des désobéissants et jusqu’à la révolution non-violente tunisienne qui a ouvert la voie aux révoltes des Pays arabes.

L’ashram de la Sabarmati, au Nord d'Ahmedabad (Gujarat), que Gandhi fonda en 1917 et où il vécut une douzaine d’années, reçoit encore des visiteurs du monde entier.

En Inde, les femmes se lèvent aujourd’hui dans de nombreuses villes pour exiger la fin des viols et des violences, les paysans marchent pour empêcher les expropriations, les antinucléaires manifestent pour s’opposer à la construction des EPR proposées par la France, des militants protestent contre les brutalités policières et la peine de mort, etc.

Comme le souhaitait Gandhi : « Chacun doit rester à l'écoute de sa petite voix intérieure et agir en conséquence ; et, si on n'a pas d'oreilles pour écouter, il ne reste plus qu'à faire de son mieux. En aucun cas, il ne faut imiter les autres comme un mouton. » (La voie de la non-violence, Folio, Gallimard)

 

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