A MORT MAI 68 / 2
Je trouve cet article du philosophe Michel Onfray sur son blog.
Bravo: c'est tout à fait ce que je pense:
03 mai 2007
Achevons Mai 68
Jeudi 3 mai 2007.
« Mai 68 », cette fiction métaphysique mélangée d’ un peu de réalité
sociologique , n’a cessé d’être un enjeu depuis ce dernier quart de
siècle : il y a eu les anciens combattants, renégats de la première ou
de la dernière heure , passés avec armes et bagages du côté de la
publicité, de la télévision, du journalisme, de l’européanisme libéral,
du sac de riz mondain et des droits de l’homme, de l’insurrection
internationale de salon, à Saint Germain des Près, de l’inspection
générale, des grands corps d’Etat , du rocardisme ; les socialistes
mitterrandiens, reconvertis du trotskisme, du situationnisme, du
maoïsme et de tout les ismes que l’on voudra , dans la nomenklatura du
vichysme dissimulé derrière le poing et la rose et qui font de la
classe ouvrière le cadet de leurs souci ; les américanophiles d’autant
plus convaincus du génie de Georges Bush qu’il avaient été
soviétophiles et défenseurs acharnés de Lénine au joli temps du Mur de
Berlin .
La liste de ceux qui brandissaient le poing à cette époque et qui,
aujourd’hui, défendent peu ou prou les idées radicales de Georges
Pompidou n’en finirait pas d’égrener les noms de ceux qui constituent
la société civile et politique française depuis trois décennies.
L’histoire de ces soixante-huitards est d’abord l’histoire de la
trahison des idéaux de Mai 68. Je l’ai déjà écrit : Guy Hocquenghem en
a très tôt et superbement écrit l’histoire dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary.
Ensuite, il y a les pourfendeurs de Mai 68, les compagnons de route du
libéralisme, du capitalisme dans sa formule post-moderne, et de tout ce
qui s’est présenté sous la rubrique « pensée de droite ». De Raymond
Aron à Luc Ferry en passant par François Furet, ceux-là communient dans
Tocqueville et haïssent la gauche, ses penseurs et ses pensées. Prenons
pour mesure de cette haine de la droite pour toute pensée digne de ce
nom le torrent d’ordures déversé sur Pierre Bourdieu des années
militantes de 1995 à sa mort. Le tombereau d’injures, d’insultes, de
vomi, de bile, de fiel, de haine a redoublé dans la semaine qui suivit
la mort du sociologue de combat, du philosophe de guerre. J’ai, en son
temps, publié un Tombeau de Pierre Bourdieu qui fit le recensement de cette vilenie de la pensée française.
Enfin, il y a également, les faux penseurs de gauche, vrais penseurs de
droite, qui se présentèrent jadis sous la rubrique publicitaire des
Nouveaux Philosophes : on vit parmi eux des amis de Giscard –
Jean-Marie Benoist-, les récents affidés de Sarkozy – André
Glucskmann-, ou les habiles comme BHL qui parlent à gauche – vague
éloge de Ségolène Royal , mais surtout pour ses tailleurs, dans les
blocs-notes - pour mieux occuper le créneau de la pensée de droite –
dégauchiser Sartre pour en faire le grand penseur juif du XX° siècle
par exemple, ou célébrer les valeurs libérales d’un Minc et conspuer
les idéaux d’un Bourdieu- , sans attirer les soupçons.
Les français sont des veaux qui croient aux étiquettes dont les
hypocrites et les fourbes se servent pour maquiller leurs programmes
toxiques et frelatés : ils ne jugent pas les idées, les contenus, le
fond, mais leur mise en scène, la forme et son spectacle. Ainsi, quand
Ségolène Royal défend des idées de droite – voir blog précédent pour la
liste …-, mais se dit de gauche, il y a encore une majorité de gogos
pour croire plutôt le faux performatif « je suis de gauche » que les
preuves de son véritable ancrage à droite données par son discours
depuis six mois… Si le loup se dit agneau, croyons le sur parole, même
si les crocs qui sortent de sa bouche prouvent le contraire…
Et puis, parmi les compagnons de route de la haine de Mai 68, un
spectre qui va de Régis Debray à Alain Finkielkraut transforme cette
période en grand laboratoire de nihilisme, en creuset d’un feu qui a
détruit toutes les valeurs – l’ordre, l’autorité, la hiérarchie, la
morale, le bien, le mal, la loi-, qui a généré la décadence de notre
époque – on ne sait plus ni lire, ni écrire, ni penser, ni compter, ni
parler- et décérébré la population désormais soucieuse de boire,
manger, fumer des pétards, consommer, regarder la télévision , enfin
pulvérisé la République – et avec elle la Communauté, la Nation, la
Patrie…
Luc Ferry et son comparse Alain Renaut l’ont dit : c’est la faute à la Pensée 68. Je n’entrerai pas dans le détail de La pensée 68, sous titré Essai sur l’anti-humanisme contemporain,
le bréviaire d’une génération qui veut en pousser une autre pour
occuper la place, mais je souhaite rapporter que le futur ministre de
Raffarin fit à cette époque des pieds et des mains auprès d’un ami
artiste qui avait ses entrées chez Deleuze pour qu’il lui obtienne une
rencontre avec le grand philosophe… D’une part on crache sur l’homme
que la planète philosophique nous envie, d’autre part on souhaite
entrer dans l’antre du vieux lion pour offrir l’encens et la myrrhe…
Voilà, cette génération Ferry – appelons là en référence aux ennemis
des Lumières du XVIII° siècle celle des Antiphilosophes (lire à ce
sujet l’excellent Les ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières de
Didier Masseau chez Albin Michel)- va prendre le pouvoir avec l’arrivée
de Sarkozy à l’Elysée. Le candidat de l’UMP a rendu Mai 68 responsable
de tous les malheurs de notre époque, c’est facile, commode et ça ne
mange pas de pain philosophique. Un bouc émissaire idéal.
Or,
Sarkozy sera non pas le général de Gaulle de cette reconquête, trop
petit mon ami, mais le Pompidou, autrement dit l’homme de droite qui
stoppe Mai 68 et remet les choses en place. Car le problème n’est pas
Mai 68, mais son assassinat politique par la droite revenue au pouvoir
et disposant des leviers depuis. Car le libéralisme politique n’est pas
un produit de Mai 68, c’est même un contre produit, une réaction,
disons le autrement, une politique réactionnaire à Mai 68 : elle réagit
aux évènements et elle souhaite un retour à l’étape d’avant – en pire…
Ce qui fut fait.
Si l’on veut établir une relation de causalité, elle se trouve entre
l’interruption de Mai 68, suivie du retour à l’ordre, et le boulevard
politique ouvert au libéralisme dont Giscard et Mitterrand incarneront
les moments les plus emblématiques – qu’on se souvienne des «
socialistes » au pouvoir et de leur culte éhonté de Bernard Tapie,
revenu depuis (avec Séguéla et d’autres…) à sa famille naturelle,
autrement dit la droite grossière et vulgaire, faussement plébéienne,
vraiment populiste, la droite affairiste, autoritaire et disciplinaire,
la droite du clan .
Achevons Mai 68, en effet, mais pas comme une bête malade, selon le
souhait de Sarkozy, Ferry, Glucskmann, Bruckner et les siens, ou tel un
vieux rêve référent, ainsi chez Cohn-Bendit, Kouchner, Goupil, Geismar,
mais en ajoutant au travail du négatif que fut ce Mai interrompu la
positivité de valeurs nouvelles – altermondialisme, féminisme,
écologie, sexualités alternatives, économies solidaires, autogestions,
mutualisme, autrement dit proudhonisme…
La fidélité aux pensées de Foucault & Bourdieu, Deleuze &
Guattari, Schérer & Hocquenghem , Vaneigem & Debord, ne passe
pas par le ressassement mais par l’élargissement : la prison et
l’usine, la rue et l’école, les sexualités et l’intersubjectivité, les
ateliers et les bureaux, les cités et les banlieues, l’urbanisme et la
culture, l’université et l’éducation, voilà autant de chantiers où l’on
doit, où l’on peut, dépasser la perspective gestionnaire des libéraux
de droite et des libéraux de gauche qui se partagent le pouvoir depuis
le renoncement à Mai 68 pour offrir de réelles alternatives à même de
fédérer un peuple de gauche à qui plus personne ne fait entendre un
discours cohérent.
Les élections présidentielles ne constituent pas le fin mot de la
politique – de la politique politicienne, médiatique et spectaculaire,
oui, mais de la politique au sens noble du terme, non. Nous aurons donc
des ministres UDF au prochain gouvernement – Sarkozy l’a dit, Royal
aussi… Dans tous les cas de figures, nous aurons des amis de François
Bayrou au futur conseil des ministres. Gageons que l’esprit de Mai
soufflera une exhalaison de naphtaline : avec André Glucskmann chez
Nicolène (en Ministre de la Tchétchénie), ou Cohn -Bendit chez Ségolas
(en Ministre des éoliennes), il restera aux autres, qui ne mangent pas
à ces tables-là, la possibilité de réactiver les micro politiques de
résistance chères à Guattari. Le soir du 6 mai prochain, la micrologie
politique devient la loi, la politique spectacle aura baissé le rideau,
les voitures reprendront feu.